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Le Northumberland

M. Pierre Chardin nous explique son travail (photos à la fin de l'article) :

Il s'agit d'un 74 canons construit à Brest en 1779. L'ingénieur se nomme J.N. Sané, c'est son deuxième vaisseau, son premier, l'Annibal, a participé aux combats de Suffren (nommé par les anglais l'amiral satan) dans l'océan indien, on possède sur ce vaisseau des devis de comportement à la mer.
On donne à mon modèle le nom d'un vieux 70 canons pris aux Anglais en 1744 : le HMS Northumberland. On reprend ce nom qui disparaîtra de la Royale quand il sera pris en 1794. On reprend également le symbole de la figure de proue : un lion non-couronné, cette figure de proue porte autour de ses pattes une sorte de boucle ; est-ce le symbole d'une prise ? A noter que les plans-types adoptés en France en 1796 utiliseront une synthèses des plans de l'Annibal et ceux du Northumberland.

Le savoir-faire de Sané le fera nommer, après l'adoption de ces plans-types, principal ingénieur-constructeur jusqu'à sa mort en 1831. Ce nouveau 74 canons est incorporé en 1780 dans l'escadre de l'amiral de Grasse et participe aux combats des Saintes et au blocus de Yorktown. Ces évènements, après la reddition de Cornwallis, sous la pression des insurgeants de La Fayette et de Rochambeauvont faire accepter à l'Angleterre l'abandon de ses colonies nord-américaine au traité de Paris en 1783. Est-ce un hasard (une réplique) si à un autre traité de Paris , celui de 1763 qui a mis fin à la guerre de sept ans, la France avait du céder à L' Angleterre une partie de ses colonies canadiennes et des Antilles ? La révolution française va détruire le savoir des officiers de la Marine Royale et c'est ainsi que durant les combats de prairial en Juin 1794, 6 vaisseaux dont le Northumberland, ainsi que l'Annibal - devenu l'Achille - seront pris et un sera coulé : l'ancien 74 canons, le Marseillois, renommé le Vengeur du peuple.

En modélisme naval, on donne des noms différents aux modèles suivant la façon dont ils sont traités : totalement bordés et gréés avec quelquefois la doublure en cuivre de la carène. À l'inverse, le modèle sur membrures ne montre que les couples et les baux de pont. Le type de modèle que j'ai choisi se nomme modèle de l'amirauté, qui laisse apparentes certaines infrastructures et est bordé à partir des dernières préceintes. Il est grée sans voiles mais ce type de modèles peut porter sa voilure. À noter que ces modèles de vitrine ne sont jamais des modèles naviguant. Cela laissait plus de choix pour la vision terminée. Travailler bordages, décors et intérieur.

On peut observer sur ce modèle la position inclinée vers l'arrière du grand mât. Ce n'est pas une interprétation, il est incliné sur le plan anglais de 1796. N'ayant pas de devis de campagne au retour de la guerre d'Amérique, je ne sais pas à quelle date on décide de l'incliner ? Il suffit de savoir que cette pratique est nécessaire pour une bonne marche du vaisseau : quand le mât (ou les deux : misaine et grand-mat) est incliné vers l'arrière, l'effort de voilure s'élève obliquement et le vaisseau, soulagé sur l'avant plongera moins et donc tanguera moins et tiendra mieux le vent ! Cette explication est fournie par J. Boudriot et confirmée par les pratiquants actuels de la voile. Je fus en désaccord avec lui sur un point : les couleurs entre préceintes étaient selon lui toujours de couleur ocre jaune ; pour moi, selon certains témoins du 13 Prairial, deux vaisseaux : le Northumberland et le Sans-Pareil (80 canons) étaient peints en rouge Sur les listons entre préceintes. ( voir au bas du texte ). Ces couleurs ne paraissent pas sur le modèle, mise à part les intérieurs, le choix ayant été pris d'un visuel en bois teinté. les préceintes étant noires du fait de la couleur de l'ébène.

L'histoire du modélisme naval remonte à loin. On a trouvé des maquettes en Égypte qui datent de 2000 avant JC. Mais c'est surtout Louis XIV qui a imposé cette pratique ; il a voulu que chaque bâtiment construit dans ses arsenaux en ait une représentation au 1/5 qu'il faisait naviguer sur les canaux à Versailles. (on en a un exemple dans L' Epervier, la BD de Pellerin : Tome 7, la mission). Échelle erronée, le décret de Colbert du 31 Octobre 1678 ordonne: qu'un modèle au 1/12 de chaque vaisseau soit réalisé dans toutes proportions et mesures. Échelle plus adaptée aux mesures en pieds de l'époque.
Dans la pratique, ces modèles servaient surtout aux maîtres de haches (les charpentiers de marine ne savaient pas lire les plans !) ils pouvaient visualiser la forme des pièces qu'ils allaient tailler dans le chêne à l'échelle réelle. Voilà la raison pour laquelle une grande partie des modèles est traitée en écorché (voire non bordé).

Vous pouvez voir sur les dernières photos que les membrures (les couples) sont apparentes sous la flottaison et que les ponts laissent entrevoir une partie des baux (petit détail : l'extrémité des baux est usinée en queue d'aronde ! Cela vient d'un mot d'époque : l'arondelle en fait de nos jours : l'hirondelle).

J'ai donc commencé en 1992 après avoir demandé conseil à Jean Boudriot ; Je ne voulais pas construire un modèle déjà existant. Mais il reste peu de documents qui contiennent plans de charpente et décors des sculptures dans la période de la guerre d'Amérique. Les archives ne contiennent que des plans de construction, pas les décors !
J.Boudriot m'a donc informé que parmi quelques noms celui de Northumberland était possible ; lors de son démontage en 1795, les anglais en avaient dressé les plans !
J'ai donc pu en obtenir une copie par l'intermédiaire du National Maritime Muséum (les plans de construction de l'Hermione, en fait ceux d'une frégate identique, viennent aussi de Greenwich) voir Hermione 1779 sur WIKIPEDIA.

En modélisme d'arsenal, on fabrique tout. Dans l'histoire des arsenaux, les ateliers de modélisme possédaient des équipes qui maîtrisaient chacune leur spécialité et comme je l'ai appris par la suite sur l'Hermione, un tel vaisseau contient à peu près 400 000 pièces (en incluant tous les clous ?), il s'agit de fabriquer à l'échelle ces différentes pièces ! Qu'il s'agisse de la construction des membrures, des différentes poulies ou du commettage des différents cordages dont je vous passe ici les noms ( chaque manœuvre porte un nom différent ). Sur ce modèle la construction des pièces non visibles ont été réalisées (les porques, les cales de bas-mât, les pompes ainsi que cloisons de séparation). On peut en voir sur les photos ; à défaut, l'usage d'un endoscope pourrait montrer ces détails, bien que cette pratique me semble un peu risquée !

Mon premier travail a consisté à redessiner les plans anglais en dessin industriel : en trois dimensions à l'échelle choisie. Sur ce point j'étais bien embêté ! L'orthodoxie oblige dans ce milieu à utiliser une échelle en pieds : 1/48 ou 1/36 ; l'une trop petite pour les détails l'autre trop grande pour l'atelier de fabrication.
Le plan de 1779 de Sané indique 169 pieds et le plan anglais 170 pieds ! C'était déjà contradictoire, de plus si on considère que le pied français (le pied de Charlemagne) mesure 32,48 cm et le pied anglais de l'époque 30,80 cm ; on arrive à un différence d'un mètre. Ces données sont en théorie prises entre la perpendiculaire d'étrave et la perpendiculaire d'étambot à hauteur de la flottaison. À supposer que les mesures soient prises aux mêmes endroits, la longueur donnée en métrique par J. Boudriot est de 55,25 mètres pour tous les 74 canons. Le système métrique est adopté par l'assemblée constituante le 26 mars 1791 ainsi que les autres unités de mesure !
Bref, comme certains modèles de musée construits au XIXe sont en échelle métrique, j'ai pris la décision de travailler au 1/40. Donc pour donner un aperçu de la maquette : longueur de l'étrave à l'étambot : environ 1,38 mètre. Avec l'avancée des poulaines, du mat de beaupré , du bout-dehors et des sculptures de l'arrière : environ 2,20 mètres. La hauteur totale environ 1.60 mètre et la grand vergue environ 74cm. Les bois utilisés sont le poirier, l'ébène et le buis pour les sculptures traités en bois teintés.
Même sans faire les voiles, chaque manœuvre existante ( cargues, écoutes, balancines et bras) sous chaque vergue doit être répertoriée sur un taquet ou un cabillot bien précis !

On m'a demandé par courriel, en début d'année si je pouvais le prêter à l'occasion d'une exposition sur Napoléon au musée de l'Armée. Abusé par le nom du vaisseau « Northumberland » ! (en effet, un troisième bâtiment portant ce nom a été construit en Angleterre sur le chantier naval de Deptford en 1798, et c'est ce dernier qui a emmené Napoléon à Sainte-Hélène après 1815) J'ai expliqué que mon modèle n'était pas terminé mais que ce n'était pas le même, près de vingt ans les séparent ! D'autre part si la Marine de guerre française a eu ses heures de gloire au moment de la guerre d'Amérique, le XIXe siècle a été anglais à cause de l'incompréhension napoléonienne sur la nécessité de maîtriser les mers, les combats d'Aboukir et de Trafalgar auront sonné ce triste constat ! J'ajoute que les ordres et contrordres donnés à ses amiraux montraient à quel point l'empereur n'avait aucune politique maritime. De plus certains détails étaient datés et ne pouvaient correspondre à 1815 : les fleurs de lys sur le blason, sculptures symboliques détruites en 1789 et le pavillon blanc ( couleur de la marine royale), le bleu et le rouge, les couleurs de Paris ne seront ajoutées sur le pavillon national qu'après la révolution, dans plusieurs positions différentes inspirées de l'héraldique ! Un vaisseau français de 1815 aurait porté d'autres décors : les symboles de l'empire : aigles , abeilles et papillons ! C'est également le cas de la vergue d'artimon sur la maquette. Dite vergue latine, sa forme est datée, elle sera remplacée à la fin du XVIIIè siècle (vers 1785 ?) par deux espars nommés gui et corne, bloqués en parallèle sur l'arrière du mat d'artimon.
J'ai utilisé en grande partie les gréements et la mâture du tome 3 du « Vaisseau de 74 canons » , Jean Boudriot situe ses dessins et ses commentaires comme si on était en 1780. Les vergues ne sont pas représentées sur le plan anglais de 1795.

J'espère ne pas avoir été trop long dans mes propos mais il m'a semblé nécessaire d'expliquer le contexte de mon travail.

Pierre CHARDIN

D'autres photos sont présentées sur le blog du Northumberland.

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